L’état de sidération psychique
« J’ai eu peur, je n’ai même pas pu crier. Les mots étaient comme coincés dans ma gorge. Je ne pouvais pas bouger non plus, j’étais tétanisée. Obligée d’être témoin de ce qu’il m’arrivait. »
Ces quelques phrases pourraient être celles d’une personne victime d’agression sexuelle, de viol ou de toute autre forme de violence. Comment se fait-il que lorsqu’on est agressé-e, on ne se défende pas ? Rester immobile et muet-te, paralysé-e ? Pourquoi ne pas se débattre de toutes ses forces, même quand on n’a pas le dessus physiquement ? Eh bien, peut-être qu’on ne peut pas !
Vidéo à l’appui, voici les grandes lignes ce qu’on appelle la sidération psychique.
Que se passe-t-il ?
Le docteur Muriel Salmona, psychiatre spécialisée dans le psychotraumatisme, définit la sidération psychique comme un ensemble de « réactions neurobiologiques normales du cerveau face à une situation anormale, celle des violences ». En gros, dans cette situation particulière, il se passe des choses particulières dans le cerveau.
1) Courage fuyons !
Face à une agression, le cerveau nous prépare à survivre en produisant lui-même du stress (grâce à l’adrénaline et au cortisol, par exemple). Tout notre corps est tonique, nos muscles sont contractés, notre coeur bat vite, notre souffle s’accélère, notre attention est au maximum. Nous sommes sur le qui-vive, comme un animal qui se retrouverait soudain face à un prédateur. Cet état de stress nous prépare à réagir physiquement : en général, à se défendre ou à fuir.
2) La saturation entraîne l’immobilisation
Notre cerveau évalue automatiquement la situation. Mais s’il est saturé de stress, il arrive qu’il décide lui-même que nos meilleures chances de survies sont de ne pas bouger du tout. Dans ce cas, le cerveau prend les mesures qui s’imposent, et au lieu de nous doper à l’adrénaline, il va produire de quoi nous anesthésier.
Notre organisme est programmé pour toujours préserver sa survie, et paradoxalement, ça peut créer un état de sidération. La surcharge émotionnelle crée la même réaction qu’un fusible qui saute dans un circuit électrique. Lorsqu’un fusible saute, c’est pour éviter la destruction du circuit, et le circuit se coupe.
Le cerveau relâche ce qu’on appelle des neurotransmetteurs, mais qui, cette fois, vont avoir l’effet inverse de l’adrénaline. Le but est de ralentir brutalement et intensément tout l’organisme. Par exemple les endorphines qui sont quasiment comme la morphine, ou encore la kétamine (qui provoque une dissociation). Eh oui, cette même morphine qui sert à anesthésier les patients souffrants de graves douleurs à l’hôpital.
3) Etat de sidération
La personne victime est alors « shootée » par son propre organisme : elle ne ressent plus rien, se sent déconnectée, dans une anesthésie physique et psychique, comme si son corps et son cerveau étaient provisoirement éteints. C’est ce moment que des personnes peuvent par la suite décrire ainsi : « Je ne me suis pas laissée faire, c’est mon corps qui n’était pas en mesure de réagir ».
La victime peut aussi vivre ce qu’on appelle un état de « dissociation » et avoir l’impression de contempler la scène de l’extérieur, comme un spectateur ou une spectatrice, comme si ce n’était pas lui/elle qui était en train de la vivre. Cet état de dissociation s’explique en partie par les substances sécrétées par le cerveau dont on parlait plus haut.
En raison de toutes les réactions chimiques, le cerveau ne peut plus traiter les informations comme il le fait habituellement, et notamment faire son travail de gestion de la mémoire. Par exemple, il arrive que le souvenir de l’événement soit stocké dans une partie du cerveau qui n’est pas accessible en permanence consciemment, à l’inverse des souvenirs de tous les jours. La scène est alors quasiment oubliée, mais peut revenir de manière soudaine, comme des flashs. Ces flashs peuvent être provoqués par une odeur, un bruit, un lieu,…
Pourquoi c’est important d’en parler
– Pour que les victimes soient mieux accompagnées
L’état de sidération n’est pas encore très connu dans le milieu juridique (avocats, magistrats, juges) mais du côté des victimes non plus ! C’est pourquoi elles peuvent ressentir un fort sentiment de culpabilité de ne s’être pas plus débattue, alors que tu as compris maintenant qu’elles n’étaient pas en mesure de le faire.
De plus, l’agresseur, pour se protéger, peut tenter de faire croire à la victime qu’elle l’a cherché, qu’elle le voulait bien, et prendre pour argument le fait qu’elle ne s’est plus débattue à partir d’un moment donné. La victime peut se laisser d’autant plus embrouiller que ses souvenirs sont flous.
Par ailleurs, on constate que les victimes ont plus tendance que les autres à adopter des conduites à risque par la suite, se mettant en danger de diverses manières (automutilation, rapports sexuels non-protégés, troubles du comportement alimentaire, consommation d’alcool ou de drogues…).
Ces conduites sont mal comprises par l’entourage et la victime elle-même, qui se retrouve d’autant plus seule. Elle peut souffrir d’une réelle souffrance sur le long-terme, associée parfois à une perte d’estime de soi et une dégradation de l’image du corps. Si la personne est profondément affectée en raison de l’agression, on peut parler de stress post-traumatique.
– Pour que ce soit mieux reconnu par la loi
Aujourd’hui, comme l’explique la vidéo, il arrive malheureusement souvent que, puisque la victime ne s’est pas débattue, elle soit considérée comme consentante au moment des faits. C’est-à-dire qu’on suppose que puisque qu’elle n’a pas manifesté une opposition importante, c’est qu’elle le voulait bien.
L’agresseur ou les agresseurs seront alors seulement condamnés pour agression sexuelle et pas pour viol ce qui n’a pas le même statut dans la loi.
Si tu as toi-même été victime d’une agression ou si tu connais quelqu’un qui l’a été, n’hésite pas à lui transmettre nos cordonnées ! Nous pourrons faire le point ensemble et l’orienter vers un accompagnement.
Nous sommes joignables au 0800 235 236 ou par chat’, 7j/7 de 9h à 23h (22h pour le chat’). C’est anonyme et gratuit !
Bonjour,
Je peux me tromper mais il me semble que votre définition de la sidération psychique ne correspond pas à celle de Muriel Salmona dans son livre “Violences sexuelles, 40 questions-réponses incontournables”.
Elle explique que la sidération est consécutive à une effraction psychique (due au choc traumatique) qui met le cortex en panne.
Et comme le cortex gère les réactions, l’analyse et la prise de décisions, le corps et l’esprit sont bloqués, ce qui explique que la personne est comme paralysée. Ce serait donc plutôt cela la sidération psychique.
Ensuite, comme le cortex est également chargé de contrôler les réponses émotionnelles, et que celles ci grimpent en flèche et font secréter des doses trop fortes d’adrénaline et de cortisol (par le système nerveux central et éventuellement les glandes surrénales, mais pas par l’amygdale) qui font courir un risque majeur au système cardio-vasculaire et au cerveau, ce même cerveau réagit en faisant disjoncter ce circuit du stress en produisant ces hormones antagonistes que sont les endorphines par exemple, mais elles ont également pour effet de priver le cortex des émotions et de la douleur.
On entre alors dans cette 2nde phase appelée la dissociation d’origine traumatique ou la victime ne ressent plus rien d’émotionnel ni de corporel, alors que les émotions et la douleur sont bien présentes mais inaccessibles pour la personne, stockées effectivement dans une autre partie du cerveau que le cortex.
Bonjour 🙂
Quelqu’un sait-il combien de temps dure la sidération psychique? Et un état de dissociation?
Moi je pense vivre ça lors de stress intenses, mais ça dure seulement une dizaine de secondes (cette impression d’être à l’extérieur, d’irréalité et de vide).
Merci pour toute réponse, ou tout témoignage si vous vivez ça aussi.
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